Luc Botta joue José-Luis Narváez
Mémoires de Bohème
Album de guitare classique sorti en Octobre 2023.
Disponible en physique et sur les plateformes d'écoute.
"La musique de José-Luis est exigeante et fière, à l'image de cette musique espagnole dont il est l'ardent défenseur.
Rien de gratuit dans ses notes, il faut une énergie et une attention de tous les instants pour les exprimer au mieux.
Je les ai interprétées avec sincérité et humilité.
Ce fût une expérience artistique inoubliable."
Luc Botta
A propos
"Rendre hommage n’est pas chose facile. Traduire en mots tout l’amour, la passion, le respect ou l’admiration pour quelqu’un, reste un exercice périlleux. Le danger de l’emphase guette, celui du truisme plus encore. Être juste, fidèle, sans affèterie, voilà bien l’idée. La simplicité en la matière est une arme. Elle s’avère pourtant d’une difficulté extrême parce que, s’adressant à la complexité des sentiments, elle a toujours peur de ne pas dire assez, ou suffisamment bien.
Et quand l’hommage se double de la volonté d’exprimer l’influence que la personne a pu exercer sur votre devenir, la tâche paraît plus immense encore. À cet instant, on aimerait faire sienne la phrase de Colette « Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne »… certes. Mais les montagnes ne sont pas toutes faites de roche, de pentes visibles, et de pics acérés. Il en est qui se conjuguent avec la peine de la plume, littéraire ou musicale, bien loin de la sueur et de l’effort physique. Trempée dans l’encre du souvenir, de la reconnaissance et de la beauté de la transmission, l’outil de l’artiste doit, au final, rendre compte d’une histoire, de tout un imaginaire que la personnalité d’un homme ou d’une femme a fait surgir. Elle participe d’un pari tout en lui offrant le cadre.
J’imagine l’amoureux de Rimbaud nous parler de sa bohème, quand, enfant, à l’image du poète aux semelles de vent, bien loin de la terre ardennaise, il devait scander ces quelques vers au beau milieu des chemins creux de son Perpignan natal :
« Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !... »… … ou encore, avec Paquillo — l’oncle paternel et père spirituel, sujet de cet hommage, cet « émerveillé de la vie, toujours à l’écoute de l’autre et prêt à rendre service », comme l’écrit si bien José Luis —, quand ils allaient tous deux sur la tombe de Baudelaire pour déclamer Le mort joyeux. « … ô vers ! noirs compagnons sans oreilles et sans yeux, voyez venir à vous un mort libre et joyeux… ». La beauté, comme la justesse, sied au sens. Et comment, bien sûr, ne pas évoquer la voix de Paco Ibáňez, ami de Paquillo, chantant La poesia es un arma cargada de futuro…
Quand on les convie, les grands hommes, ne seraient-ils encore que des enfants, ont droit au plus beau des repas. Mais comment faire d’une soupe de noires et de blanches, de rondes et de croches, un mets somptueux, un bouquet de fragrances et de goût aux mille couleurs ?
José Luis a ce don.
Dans ce Mémoires de « Bohèmes », les notes montent, claires, limpides, hyalines. Comme l’onde transparente d’un ruisseau. On devine les doigts qui pincent les cordes, qui courent sur le manche, s’agitent, agiles et fringants. Mais, très vite, comme les premiers frimas d’un hiver précoce s’amusent à piquer vos narines surprises par le froid naissant, des images aux teintes multiples assaillent votre mémoire : mer, soleil, plage, sud, vacances, Espagne… Forte de ses images, l’écriture musicale s’empare peu à peu de votre imaginaire, voguant sur le souvenir de quelques lectures ou de quelques œuvres cinématographiques, pour faire sourdre au final, mille sentiments. Des sentiments aussi divers que variés, jusqu’à oser l’oxymore. Ainsi, calme, sérénité, légèreté le disputent à la nostalgie, à la peur du temps qui passe, à la force de l’évocation. La mesure côtoie le complexe, l’innocence, la gravité. Pourquoi, à l’écoute de Mémoires de bohème II, les personnages de Proust, de Swann au baron de Charlus en passant par la duchesse de Guermantes, jaillissent et s’animent. Ou encore ce cher Camus qui joue à cache-cache dans les ruines de Tipaza porté par Alla cubana ? Par quel miracle les images de Mort à Venise, le chef d’œuvre de Visconti, cessent de défiler sur la 5 e de Mahler, pour épouser un temps l’air d’Andalucia ? Avec cette phrase qui reste en suspens : « La beauté, fruit du labeur ! Quelle illusion ». À chacun son idée. Reste cette magie et mystère d’une connexion neuronale qui n’a de cesse de mettre en lien tout ce qui touche à cette beauté. Au vrai.
Il peut paraître étonnant, voire déplacé, qu’en cette période de dérèglement climatique, on ait envie d’invoquer le soleil. Sauf s’il s’agit de cet orbe qui réchauffe et non de celui qui brûle, de celui qui prend soin des cœurs et non de celui qui calcine les corps. Et c’est bien ce que nous fait la musique de José Luis : nous réchauffer. Elle nous réchauffe si bien le cœur, le corps et l’esprit, qu’elle nous en ferait presque oublier la dureté d’un monde qui semble avoir perdu la raison. Tous les outils sont là, pourtant, dans les mots, la couleur et la musique, et dans ce Mémoires de bohème, partie prenante d’une boîte qui les contient tous.
D’où il est, Paquillo doit être heureux. Du sommet de son rocher, face à la terre d’Espagne, il guette sans doute les notes de ce petit garçon qui, assis sagement, écoutait les accords de ce père spirituel. Ne reste à espérer que le vent porte loin ce plaisir des lignes musicales et de cette bohème magnifique, sang mêlé qui nous donnent les clés pour qu’éclabousse la beauté jusqu’à toucher les plus noirs des rivages.
Gérald Lucas
Prise de son, montage mixage : Jean-François Phélippeau Studio Yubaba
Guitares : Guitares : Rémy Larson, modèle Oxalis et Dominique Delarue, année 2003.
Conception graphique et diffusion numérique et communication : Marie-Ange Botta